Virtues of enthusiasm - Des vertus de l'enthousiasme
Can we still be enthusiastic today? The question seems almost indecent, in a world of noise and fury, suffocating with conflict, destruction, and all kinds of unbelievable violence. And yet...
Peut-on être encore enthousiaste aujourd'hui ? La question semble presque indécente, dans un monde de bruit et de fureur, suffoquant de conflits, destructions, et autres violences inimaginables. Et pourtant ... Français ci-dessous
Can we still get enthusiastic, feel the spark that encourages us to participate in something wider then ourselves? Returning to the first meaning of the word, as conceived by the Greeks, a possession by the divine, a feeling of ecstatic joy? Or does it only makes us vain optimists, blind to the realities that surround us, or worse, fanatics, deaf and blind to differences in perceptions or opinions?
I belong to this category, of those we define as enthusiasts. But beyond my temperament, this question takes on for me a greater importance every day, precisely in this world as we experience it today. Could we not reverse the assumption ? What if it was precisely enthusiasm that we could claim as the artistic and pedagogical foundation of our practices?
Enthusiasm: that which makes us sweep away the reasonable, the comfortable, the consensual, the achievable, all these categories which are only obstacles to creation. Enthusiasm rooted in an inner desire, an urgency, an imperious need, with the only possible answer the moving of our own lines, our own limits, pushed back every time a little bit further. And that enables us to discover unsuspected resources in ourselves and others, which we can seize to deepen, again and again, our disciplines and our creations.
The enthusiasm we feel while seeing, listening, living in all their forms, a show, a book, a film, any work of art when it touches on what we can not name rationally anymore: sacred? Sublime? Mystique? The enthusiasm that those we admire pass on to us, who trigger in us an irresistible emulation, that has nothing to do with the spirit of competition that reigns today. Beauty calls for Beauty, the ability to create stimulates our own desire to give birth to works that do not yet exist, that no one asks us to make exist, but which we can not renounce without losing the meaning of our lives.
The enthusiasm we provoke when we ourselves become bearers of emotions and sense in our creations. We know that sometimes, we are lucky enough to be truly possessed by this deity, whatever name we want to give it, which makes us hold the spectator in the palm of our hand, ready to follow us with his eyes closed on the path we are tracing, accepting everything that we offer. Bearers of memories, stories, happiness and sorrow, in the enthusiasm of a ritual that still resists the asphyxiation of triumphant individualism, which consists in sharing our humanity in an artistic act.
Not to mention the enthusiasm we transmit in our collective educational activities, both with children and adults, when it is not only a matter of learning, but of growing together, in the same spirit, towards the same goal. Enthusiasm becomes then a contagious disease: being in many, one becomes stronger, richer in humanity, more intelligent, more sensitive, more creative, until one does not recognize oneself, as sometimes happens when one exceeds oneself. Feeling that in the time of a project, the world belongs to us.
I feel extraordinarily lucky: I am really possessed, from head to toe. My enthusiasm is called singing, which always, and everywhere, makes me vibrate. I do not explain it, but what does it matter? What I know is that singing opens all the doors and makes it possible to climb all the mountains, that it connects the grandmothers of France to the schoolchildren of Argentina, the factory workers to the rural bartenders, the women of Calcutta to the youth of Marseille, to mention only the most recent examples where I had the possibility to exercise it. That singing, always, and everywhere, without notions of frontier, age, social or intellectual environment, finds its way to the heart.
And most of all: concerning enthusiasm, I can say without hesitation that it makes us live less badly, amid our weaknesses and our difficulties. That it exalts us, sometimes to the point of changing our lives, that it brings us together, that it makes us discover who we are, and who are those around us. And that these fleeting flashes of harmony may allow us, perhaps, to make of the world in which we live the place where we could bring out the best of ourselves, even if it would only last the time of a song...
So, and in a very determined way, responding to the 2019 Transit Festival "Hope in Action": let's get enthusiastic!
Eléonore Bovon, July 2019
Des vertus de l'enthousiasme
Peut-on être encore enthousiaste aujourd'hui ? La question semble presque indécente, dans un monde de bruit et de fureur, suffoquant de conflits, destructions, et autres violences inimaginables. Et pourtant...
Peut-on encore s'enthousiasmer, sentir l'étincelle qui nous pousse à participer à quelque chose qui nous dépasse ? Revenir au sens premier du mot, tel que le concevaient les Grecs, une possession par le divin, un sentiment de joie extatique ? Ou bien cela fait-il seulement de nous des optimistes béats, aveugles aux réalités qui nous entourent, ou pire, des fanatiques sourds aux différences de perceptions ou d'opinions ?
Je fais partie de cette catégorie, de celles et ceux qu'on définit comme enthousiastes. Mais au-delà de mon tempérament, cette question prend pour moi une acuité plus grande chaque jour, précisément dans ce monde tel que nous l'expérimentons à notre époque. Jusqu'à inverser le postulat : et si c'était justement l'enthousiasme que nous pouvions poser comme fondement artistique et pédagogique de nos pratiques ?
L'enthousiasme : celui qui nous fait balayer d'un revers de main le raisonnable, le confortable, le consensuel, le réalisable, toutes ces catégories qui sont autant de freins à la création. L'enthousiasme s'enracinant dans un désir intérieur, une urgence, une nécessité impérieuse, avec pour seule réponse possible le déplacement de nos propres lignes, nos propres limites, repoussées chaque fois un peu plus loin. Et qui nous permet de découvrir des ressources insoupçonnées en nous-mêmes et en autrui, dont nous pouvons nous emparer pour approfondir, encore et encore, nos disciplines et nos créations.
L'enthousiasme que nous ressentons à voir, écouter, vivre sous toutes leurs formes, un spectacle, un livre, un film, toute œuvre d'art lorsqu'elle touche à ce que l'on n'arrive plus à nommer de façon rationnelle : sacré ? Sublime ? Mystique ? L'enthousiasme que nous communiquent celles et ceux que nous admirons, qui déclenchent en nous une émulation irrésistible, sans aucun rapport avec l'esprit de compétition qui règne en maître aujourd'hui : le Beau appelle le Beau, la capacité à créer de la beauté stimule notre propre désir de donner naissance aux oeuvres qui n'existent pas encore, que personne ne nous demande de faire exister, mais auxquelles nous ne pouvons renoncer sous peine de perdre le sens de notre vie.
L'enthousiasme que nous provoquons lorsque nous devenons nous-mêmes passeuses d'émotions et de sens, dans nos créations. Nous le savons : parfois, nous avons la chance d'être véritablement possédées par cette divinité, quel que soit le nom que l'on souhaite lui donner, qui fait que l'on tient le spectateur dans le creux de sa main, et qu'il nous suivra les yeux fermés sur la route que nous lui traçons, acceptant tout ce que nous lui offrons. Passeuses de mémoires, d'histoires, de bonheurs et de peines, dans l'enthousiasme d'un rituel qui résiste encore et toujours à l'asphyxie de l'individualisme triomphant, et qui consiste à partager notre humanité autour d'un acte artistique.
Sans oublier l'enthousiasme que nous transmettons dans nos activités pédagogiques collectives, tant auprès d'enfants que d'adultes, lorsqu'il ne s'agit plus seulement d'apprendre, mais de grandir ensemble, dans un même élan, vers un même objectif. L'enthousiasme se fait alors maladie contagieuse : à plusieurs, l'on devient plus forts, plus riches d'humanité, plus intelligents, plus sensibles, plus créatifs, jusqu'à ne plus se reconnaître, tant il arrive parfois que l'on se dépasse. En sentant que, le temps d'un projet, le monde nous appartient.
J'ai pour ma part une chance extraordinaire : possédée, je le suis bel et bien, des pieds à la tête. Mon enthousiasme s'appelle le chant, qui me fait vibrer toujours, et partout. Je ne me l'explique pas, mais qu'importe. Ce que je sais, c'est que le chant ouvre toutes les portes et permet d'escalader toutes les montagnes, qu'il relie les grands-mères de France aux écoliers d'Argentine, les ouvrières d'usine aux patrons de bistrots de campagne, les femmes de Calcutta aux jeunes de Marseille, pour ne citer que les derniers exemples où j'ai eu la possibilité de l'exercer. Que le chant, toujours, et partout, sans notions de frontière, d'âge, de milieu social ou intellectuel, trouve la voie du cœur.
Et surtout, surtout : de cet enthousiasme, je peux dire sans hésiter qu'il nous fait vivre moins mal, au milieu de nos faiblesses et de nos difficultés. Qu'il nous exalte, jusqu'à parfois nous changer la vie, qu'il nous rassemble, qu'il nous fait découvrir qui nous sommes, et qui sont celles et ceux qui nous entourent. Et que ces éclairs fugaces d'harmonie peuvent nous permettre, peut-être, de faire du monde dans lequel nous vivons le lieu où nous pourrions faire le pari de mettre en lumière le meilleur de nous-mêmes, quand bien même cela ne durerait que le temps d'une chanson...
Alors, avec détermination, et en écho au Festival Transit 2019 qui s'intitule si justement « Hope in Action » : enthousiasmons-nous !
Eléonore Bovon, juillet 2019